LA MERE ALBERTE


 

L'Histoire, la grande, est faite de nombreux petits évènements accumulés et, trop souvent, du sacrifice de gens qui subissent les soubressauts de celle-ci.
L'Histoire contemporaine, au Ventes comme ailleurs, ne déroge pas à ce triste constat. Le pardon est sûrement la règle mais pas l'oubli, souvenons-nous toujours...
 
Depuis le débarquement, le PC des résistants d' Évreux est instalé au hameau des Ventes, dans une petite ferme exploitée par une brave vieille femme de soixante-dix ans, la veuve Lannesval. Deux ou trois chèvres, une vingtaine de volailles et quelques lapins suffisent à celle que les habitants du cru appellent familièrement "la Mère Alberte".
Lorsque Stouls et ses camarades ont cherché un endroit tranquille pour établir leur poste de commandement, l'un de leurs hommes, Michenot, a indiqué la maison d' Alberte Lannesval, courageuse patriote qui abhorre l'occupant.
Elle a accueilli avec joie les francs-tireurs, heureuse à son âge de pouvoir être utile à la Résistance. On y a installé le PC l'émetteur radio et les réserves.
Ce 14 août, alors que Stouls et quelques autres se reposent, au retour d'une embuscade dans la forêt d'Évreux, un garde fait irruption dans la vieille bâtisse : "vite, alerte, les boches arrivent !"
Aussitôt, les maquisards sont sur pied. Pas question de tenir un siège ici ; il faut décrocher. Ils veulent emmener leur hôtesse : elle refuse d'abandonner sa demeure : "je suis bien trop vieille pour vous suivre, d'ailleurs, à mon âge, que voulez-vous qu'ils me fassent ?"
Ils s'éloignent donc ; un quart d'heure après, la cour est envahie de motocyclistes encadrant une automitrailleuse. La maison est cernée. Un sous-officier SS fait irruption :
- Où sont les terroristes ?
- De qui parlez-vous ?
- Des terroristes, des bandits qui nous ont attaqués cette nuit dans la forêt.
- Je ne sais pas ce que vous voulez dire.
Les SS se répandent dans la ferme, fouinant, cherchant partout. Ils reviennent bientôt avec l'émetteur, abandonné dans la grange sous des bottes de foin.
- Et çà ? hurle le feldwebel, c'est quoi ?
- Je n'en sais ma foi rien.
Quatre ou cinq soldats se jettent sur le mère Alberte, la rouant de coups.
- Parleras-tu, vieille folle ? Où sont-ils ?

- Je ne comprends rien, depuis la mort de mon défunt mari, je vis seule.
A ce moment, une patrouille revient, encadrant un homme au visage déjà marqué par les sévices. C'est Gaston Levrette, un ouvrier parisien, chef de groupe FFI qui a été surpris au Haut-bois des Ventes. Sur lui, les Nazis ont trouvé son brassard et son pistolet. On l'attache à un arbre et les brutes se relaient pour frapper. Rien n'y fait. Alors ils lui arrachent les ongles. Pas un cri, pas un mot ne sortent de sa gorge. Ils reviennent vers La mère Alberte ; à coups de poings, les SS se la renvoient l'un à l'autre. Elle tombe, ils la relèvent à grandes ruades de bottes. Toute la journée, ils vont ainsi les martyriser à tour de rôle. Ils tuent les chèvres, obligent la pauvre femme à leur préparer un pantagruélique repas et à les servir. Ils on trouvé dans la cave deux ou trois bouteilles de vieux "calva" et ils arrosent copieusement leurs agapes. La nuit se passe en ripailles, la veuve amène des verres, va, vient, une lueur méprisante et narquoise au fond des yeux.
Deux jours durant, les mêmes scènes se renouvellent. Attaché à son arbre, sans soins, ni boisson, ni nourrriture, Gaston Levrette est toujours muet. Alors le 16, la rage l'emportent, les SS le délient, l'emmènent dans le bois proche, creusent un trou, et l'enterrent debout, bras levés, vivant ! Ils reviennent à la maison :
- Ton complice est mort, si tu ne parles pas, tu vas être pendue.
- Je n'ai rien à vous dire, je ne sais rien.
Fou furieux, le sous-officier aboie un ordre. Quatre reîtres se précipitent, empoignent la vieille femme, lui passent une corde autour du cou, et l'accroche à une poutre. Il la lâchent, elle se débat dans le vide, une rafale de mitraillette secoue le corps pendu. C'est fini, elle a cessé de souffrir. Les assassins dynamitent la ferme, incendient les dépendances et s'en vont.
Qui osera dire que les SS étaient des soldats, des hommes ?
Raymond Ruffin "La résistance normande face à la gestapo" Éditions Presse de la Cité (1977)

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